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An article on my theory of scientific progress, that I published in Swiss bimonthly magazine Le Temps Stratégique in July 1998.
(Le Temps Stratégique, no82, July 1998, pp.70-80).

Part 1/5 Main article (this page).
Part 2/5 Box: what is "thalassography".
Part 3/5 Box: today's trade blocks.
Part 4/5 Appendix: Sumer, relativism.
Part 5/5 Bibliography.

Safety copy of internet version: July 2000. PDF file (20.8Mb). Source.

Dans l'article original sur papier, une citation de Claude Monnier, le rédacteur en chef du Temps Stratégique, apparaissait dans un encart, au début de l'article:

Clin d'oeil à Claude Monnier

"Dans la vie, on a besoin d'ennemis (...) peu importe les raisons pour lesquelles notre ennemi est notre ennemi, ce qui compte au premier chef c'est qu'il soit notre ennemi, notre révélateur, notre excitateur, notre garde-fou, notre arc-boutant, et nous aide de la sorte à nous structurer."

Claude Monnier, "Les Rouges nous manquent", Journal de Genève et Gazette de Lausanne du 18 octobre 1993.

Theory of Science
Cosandey


@rchipress

Pourquoi l'Europe dominait hier...

et ce qui l'attend demain

Par David Cosandey

Le Temps stratégique

David Cosandey, qui a étudié à l'Université de Lausanne, est docteur en physique théorique de l'Université de Berne. Il travaille à Zurich dans la modélisation mathématique financière. Il a publié en 1997, avec l'aide de la Fondation Veillon, sur le thème qu'il traite dans l'article qui suit, une somme de 470 pages, Le Secret de l'Occident. Du miracle passé au marasme présent (Paris, Arléa).

 

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ADDENDA

Petite introduction
à la "thalassographie
articulée"

Le monde divisé en blocs commerciaux

Existe-t-il des
valeurs universelles?

Pour en savoir plus

 

 

 

 

 

Pourquoi l'industrie moderne a-t-elle été inventée en Europe, pas en Inde ou en Chine?



 

 

 

 

 

 

 

 



CLÉ NUMÉRO 1
L'Europe a eu la chance
d'être faite d'États à la fois prospères et rivaux




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

CLÉ NUMÉRO 2
L'Europe a des côtes
maritimes
hyper-découpées
comme des fractales...




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


POUR L'AVENIR
L'Europe aurait besoin
de nouveaux ennemis.

 

 

 

 

 

Pas de problème, l'affaire est en route!

 

 

 

 

Pendant des siècles, l'éclatant succès européen est resté un mystère enveloppé d'une énigme, pour reprendre l'expression de Churchill. Comment se fait-il en effet qu'une région du monde, une seule, ait connu un développement aussi fulgurant? Pourquoi les Européens avaient-ils, par exemple, inventé la science et l'industrie modernes, et non l'Inde ou la Chine?

Cette énigme suscite traditionnellement deux types de réactions chez les penseurs. Les uns jugent tout à fait naturels les succès de l'Europe, qu'ils expliquent par la supériorité culturelle, religieuse ou génétique de ses habitants, reléguant ainsi sans états d'âme les peuples non-européens dans l'ombre et le mépris. Les autres, supportant mal des conclusions aussi méprisantes, préfèrent nier la réalité objective de cette supériorité européenne momentanée. Ils prônent donc le relativisme culturel (toutes les sociétés se valent), faisant bon marché de la formidable puissance militaro-économique qu'a exercée l'Europe grâce à ses progrès technologiques, ou attribuent aux civilisations extra-européennes de jadis tout le mérite des réalisations européennes modernes. Ce faisant, ils négligent d'expliquer pourquoi des civilisations dont ils jugent les débuts si brillants, ont tellement ralenti par la suite.

L'histoire des civilisations, l'histoire des sciences et des techniques en particulier, ont longtemps trébuché sur ce dilemme. Cependant, il semble qu'aujourd'hui on puisse enfin développer une vision claire et cohérente des causes générales du progrès, et en particulier de l'émergence de la modernité. Comme j'ai tenté de le montrer dans un ouvrage récent (Le Secret de l'Occident), le progrès d'une civilisation, de sa culture, de ses sciences, de ses techniques, découle au premier chef de la concomitance de deux facteurs: la prospérité économique et la division politique stable.

En effet, chaque fois qu'une région est à la fois économiquement dynamique et constituée d'États rivaux durables, elle va vers le plus et le mieux, ses connaissances scientifiques, sa littérature et ses arts se développent et s'épanouissent. Inversement, chaque fois qu'une région glisse dans un système d'unité totale ou de division politique instable ou de marasme économique, ses progrès ralentissent ou s'arrêtent. Il se trouve que la civilisation occidentale a bénéficié beaucoup plus longtemps que toute autre civilisation de la conjonction d'une économie prospère et d'une division politique stable. Je postule que telle est la raison de son extraordinaire succès.

L'essor économique et la division politique stable soutiennent le progrès de multiples façons.

La prospérité commerciale, en produisant un surplus, permet tout d'abord à une frange de la population de se consacrer à des tâches non immédiatement productives, ce qui stimule les arts et les sciences. De surcroît, les marchands et les hommes d'affaires influent eux-mêmes et de manière directe sur le progrès des connaissances. Poussés par leur amour du calcul et du chiffre, ils soutiennent les mathématiques et les mathématiciens; ce soutien ne s'est jamais démenti, des marchands-navigateurs sumériens de 2800 av. J.-C. jusqu'aux négociants en produits dérivés de l'aube de l'an 2000. La passion des hommes d'affaires pour la mesure du temps (le temps c'est de l'argent!) leur a fait subventionner le développement de l'horlogerie. Leur goût du voyage les a conduits à soutenir l'amélioration des transports et de la cartographie. L'intérêt naturel qu'ils portent aux inventions – derrière toute invention, ils voient pointer un bénéfice – leur a fait patronner des recherches technologiques.

La division politique stable, quant à elle, contribue au progrès de la civilisation en multipliant les centres de pouvoir et les législations, qui se font alors une concurrence génératrice de liberté. Aucun gouvernement, en effet, ne peut étouffer une forme d'art, une idée originale, une nouvelle machine, si ses auteurs peuvent, à la première menace, se réfugier dans un pays voisin. Aucun souverain ne peut faire preuve d'un excès de tyrannie, lorsque ses sujets ont la possibilité de s'exiler aisément. Aujourd'hui même, par exemple, si les céréales génétiquement modifiées ont pu entamer une carrière commerciale, c'est à la diversité des réglementations occidentales qu'elles le doivent: ce que l'Union européenne interdit, les États-Unis peuvent l'autoriser, et vice-versa.

La division politique stable pousse en outre les princes à rivaliser de prestige entre eux, pour le plus grand bien des savants, des artistes d'avant-garde et des penseurs. Elle les pousse également à se passionner pour des améliorations techniques leur permettant de tenir la dragée militaire haute à leurs multiples voisins.

Bref, la compétition entre Etats durables est, pour tous et de tous les points de vue, un stimulant incomparable.

Commerçants et militaires sont tendus vers l'efficacité, l'exactitude, le calcul, la mesure, le pragmatisme, ils ont le goût de l'effort, le sens de l'organisation. A mesure qu'ils s'organisent en une classe sociale puissante, ce qu'ils peuvent faire dans des États rivaux durables, leur mentalité s'impose à l'ensemble de la société, dissipant les superstitions et les croyances magiques, stimulant la raison et la pensée scientifique.

Ainsi sont apparues les universités, institutions fondamentales de l'émergence intellectuelle occidentale. Les premières d'entre elles, Bologne, Paris, Oxford, étaient des écoles privées, vivant des redevances de leurs étudiants. La prospérité ambiante a donc permis leur succès, alors que la stagnation économique avait entraîné l'échec des écoles fondées avant le XIe siècle. Dès l'origine, les universités, bouillonnant d'idées contestataires, ont exaspéré les autorités politiques et religieuses. Les enseignants ne durent de survivre qu'à la possibilité qu'ils avaient de fuir dans l'État d'un prince voisin. Ce dernier les accueillait à bras ouverts, trop content de contrarier un rival et de lui dérober une source de prestige.

Que l'on parle des Grecs du VIe siècle avant notre ère, des Mayas de l'époque classique ou des États-Unis et de l'Union Soviétique au XXe siècle, toutes les régions du monde ayant bénéficié à la fois d'une économie épanouie et d'une division politique stable ont connu des progrès rapides. Inversement, les régions n'ayant pas eu cette chance, parce qu'elles faisaient partie d'un empire unifié, ou qu'elles souffraient d'une division politique instable (leurs frontières valsaient, la guerre civile les déchirait, etc.), ou que leur économie était déprimée, ont régressé, voire décliné. Il s'agit là d'une loi, semble-t-il, qui se vérifie en tout temps et en tout lieu. Cette loi explique, en particulier, les différentes phases de l'histoire de l'Occident: le miracle grec et la stagnation romaine, les ténèbres du haut Moyen Age et la grande ascension qui a commencé vers l'an mille et s'est poursuivie jusqu'à l'époque contemporaine.

Aux IXe-VIIIe siècles avant J.-C. s'est constitué en Grèce et dans le bassin de la mer Égée un ensemble d'États unis par une culture et une langue communes. Malgré leurs conflits fréquents, ces cités-Etats se sont maintenus pendant plusieurs siècles, tout en étant animés d'un commerce et d'un artisanat florissants. C'est alors que les Grecs ont inventé, ou totalement renouvelé, le théâtre, la poésie, la philosophie, l'astronomie, les mathématiques, la physique, la biologie et la médecine.

Après le IIIe siècle, toutefois, ce miracle grec, comme on l'appelle, s'est estompé: suite à un affaissement démographique, l'économie a décliné, et les frontières de la région se sont mises à fluctuer brutalement; en conséquence, le progrès culturel et scientifique s'est interrompu.

L'empire romain a étendu peu à peu son emprise à toute la Méditerranée, imposant un système d'unité totale. Parallèlement, son économie s'est mise à stagner, puis elle a sombré dans une large mesure à cause de cette unité imposée. La culture et la science ont, elles aussi, stagné puis décliné. Il n'est pas besoin de chercher ailleurs la clé de la décadence romaine.

Du Ve au Xe siècle, période qui sépare la désintégration de l'empire romain de l'an mille environ, les barbares ont envahi l'Europe, provoquant dans tout l'ouest du continent une situation de division politique instable et de dépression économique, qui a entraîné la grave régression culturelle d'une époque justement nommée Age des Ténèbres.

A partir du XIe siècle, l'Europe occidentale se redresse, lorsqu'en son sein se cristallisent plusieurs États concurrents et solides, lancés dans une expansion commerciale et manufacturière tous azimuts. Ces royaumes européens ont beau être constamment en guerre entre eux, leurs frontières restent essentiellement stables. Les principaux d'entre eux vont même se maintenir pendant un millénaire. C'est alors que l'on voit l'Europe occidentale triompher sur les plans culturel et scientifique, se succéder la Renaissance, les Lumières, la Révolution industrielle, l'émergence de la démocratie et l'explosion scientifique moderne.

Les civilisations extra-européennes, en revanche, n'ont pas bénéficié de manière aussi durable d'une concomitance de l'essor économique et de la division politique stable. Certes, elles ont connu des périodes de division relativement stable et d'aisance commerciale, le Moyen-Orient du IXe au XIe siècle, l'Inde du IIIe au VIIe siècle, la Chine du VIIIe au XIIIe siècle, pendant lesquelles les Arabes ont développé l'optique, l'algèbre, la médecine, les Indiens ont inventé le zéro et les chiffres positionnels, les Chinois ont mis au point des cosmologies supérieures, ainsi que la poudre, l'imprimerie, la jonque de haute mer, etc. Mais ces périodes de concomitance favorable n'ont pas duré aussi longtemps qu'en Europe. Elles ont été interrompues par des situations d'empire universel, ou de chaos intérieur et de frontières sans cesse fluctuantes, ou encore de détresse économique. Ce différentiel suffit en fait à expliquer l'échec relatif des non-Européens et le succès exceptionnel des Occidentaux, qui les a conduits sur toutes les terres et tous les océans du globe à partir du XVIe siècle, puis, au XIXe siècle, à la domination du monde.

Durant la première moitié du XXe siècle, l'Europe occidentale s'est tout à coup trouvée trop petite pour héberger plusieurs grandes puissances en conflit: ses nouvelles technologies militaires les avions, les blindés impliquaient de jouer sur un espace plus large. C'est pourquoi le système d'États européen s'est effondré au cours de la Seconde guerre mondiale, supplanté par le couple plus vaste Amérique du Nord-Russie. Ce couple a reconstitué, à plus grande échelle, un système d'États stables et prospères, favorable au progrès technologique.

Dans les années 1970, cependant, le développement des bombes H et des missiles intercontinentaux a fini par rendre la Terre elle-même trop exiguë: la guerre entre grandes puissances est devenue impossible. La paix nucléaire s'étant imposée, les États-Unis et l'URSS ont au fond cessé de se faire concurrence et leur duopole s'est écroulé en 1989-91.

Aujourd'hui, les puissances ne peuvent plus guère rivaliser que sur le terrain de l'économie et sur celui du prestige, mais à l'échelle planétaire. Dans cette perspective, si l'Europe devenait un jour un État politiquement unifié, ce dernier ne mettrait pas en péril le progrès de la science et de la culture, puisqu'il se trouverait aussitôt en concurrence avec d'autres États d'envergure comparable: les États-Unis, le Japon, la Chine...

Cela dit, pourquoi seule l'Europe a-t-elle bénéficié de paramètres économiques et politiques aussi favorables, et ce de façon continue pendant un millénaire? La réponse la plus vraisemblable à cette question est géographique. Des quatre grands foyers de civilisation (Europe, Moyen-Orient, Inde, Chine), l'Europe occidentale a le profil littoral le plus complexe: elle est en effet une péninsule de péninsules, son pourtour est constitué de mers intérieures, de détroits, d'isthmes, de golfes, d'îles. La dimension fractale de sa ligne de côte – la dimension fractale est une grandeur mathématique mesurant la complexité d'une ligne brisée – est beaucoup plus élevée que celle des autres continents. J'ai baptisé cette silhouette géographique avantageuse une thalassographie articulée.

Sur le long terme, cette configuration littorale a favorisé, en Europe, la formation d'États rivaux durables, ainsi que le développement du commerce. Les mers qui entourent tout ou partie de l'Angleterre, de la France, de l'Espagne, de la Suède, du Danemark, etc., ont servi à ces pays de défenses naturelles et ont donc favorisé leur longévité. Elles ont en même temps démultiplié à leur profit les possibilités de faire du commerce, le transport maritime étant infiniment plus avantageux que le transport terrestre.

Ce serait donc à un hasard de la géologie que la civilisation occidentale devrait son destin original: le continent européen offrait une véritable infrastructure naturelle de développement. La même configuration thalassographique se vérifie, mais à plus petite échelle, pour la Grèce et le bassin de la mer Égée, expliquant l'essor grec antique.

La Chine, l'Inde et le Moyen-Orient, en revanche, sont des masses continentales énormes et indifférenciées, dont la plupart des points sont privés d'accès à la mer. Leur configuration littorale défavorable a fragilisé leurs divisions politiques et affaibli leur commerce.

On peut se demander pourquoi les théories que je suggère ici, simples somme toute, mais d'un pouvoir explicatif important, n'ont pas été formulées plus tôt. Il y a à cela deux raisons principales, je crois.

La première est que les humains ont de tout temps été fascinés par l'idée d'empire unifié, évoquant la paix, l'harmonie, le grand ensemble gouverné par un empereur sage et bienveillant. Les gens sont en général rebutés, pour ne pas dire scandalisés, par l'idée que les rivalités et les conflits entre Etats puissent avoir sur leur vie des effets positifs majeurs. Plus généralement, l'on aime à trouver aux choses grandioses des causes grandioses, préférant laisser de côté, à propos du progrès culturel et scientifique, les motivations considérées comme viles, ou trop terre-à-terre.

La seconde est qu'au cours des récentes décennies, l'histoire a fait de grands progrès, l'histoire des sciences en particulier qui, depuis son institutionnalisation universitaire dans les années 1940-50, a produit un grand nombre de travaux innovateurs. Les éléments théoriques que je suggère ici figuraient, éparpillés, dans des centaines d'ouvrages récents. Il restait à découvrir le fil rouge qui les reliait.

Les théories que je propose, parce qu'elles énoncent les conditions nécessaires et suffisantes du progrès de la civilisation, devraient permettre de passer peu à peu d'une vision cinématique de l'histoire des civilisations, purement descriptive, à une vision dynamique, permettant d'identifier les forces à l'oeuvre et de projeter certaines évolutions possibles.

Dans le monde actuel, enfant, je le rappelle, de la paix nucléaire, il me semble possible de distinguer trois tendances majeures divergentes.

La première est la tendance à l'unification économique du monde, qui se manifeste à travers des accords comme ceux du GATT et de son successeur, l'Organisation Mondiale du Commerce. Ces accords visent à lever toute forme d'obstacle à la circulation des marchandises et au rachat transfrontalier des entreprises, à fin ultime de constituer un jour un domaine douanier planétaire unique. Cette tendance, si elle se poursuivait jusqu'à son terme, conduirait à un nivellement technologique et industriel mondial; les gouvernements renonçant à protéger leur économie et leurs habitants, une classe super-riche, regroupant peut-être 10% de la population de chaque pays, s'installerait aux commandes, imposant ses volontés à une immense sous-classe paupérisée.

La deuxième tendance pousse au contraire à l'éclatement des États, au morcellement politique généralisé. Les États n'ont en dernière analyse de raison d'être que la défense et la guerre. Dès lors que la paix nucléaire rend les grandes guerres impossibles, les conflits se morcellent, d'où l'actuelle multiplication des petits conflits féodaux anarchiques (Yougoslavie, Caucase, Afghanistan, Somalie, Libéria, etc.), le néo-développement des villes fortifiées (États-Unis, Brésil, Nigéria), la résurgence des brigands de grand chemin (Russie, Caucase, Mexique) et la réapparition des pirates (Indonésie, Brésil). Cette tendance, si elle se poursuivait jusqu'à son terme, conduirait à une sorte de nouveau Moyen Age.

La troisième, enfin, est la tendance à la formation de grands blocs continentaux (ALENA, Mercosur, EEE, Asean, Inde, Chine), relativement protectionnistes et se faisant concurrence les uns aux autres.

Il est difficile de dire laquelle des trois tendances l'emportera. Mais les théories exposées plus haut suggèrent à l'évidence que la troisième - le développement de blocs politiques stables et rivaux, attachés à développer leur économie et leur commerce - serait la plus favorable à une poursuite du progrès de la civilisation.

Pour ce qui concerne spécifiquement l'Europe, on peut dire, me semble-t-il, ceci: elle est aujourd'hui essoufflée démographiquement, et donc économiquement, et la disparition du risque militaire a réduit à peu de chose la rivalité entre ses États ou avec des États extérieurs. Cette situation peu stimulante la conduit tendanciellement à la stagnation.

Mais cette situation n'est pas fixée pour l'éternité. Premièrement, parce que les gouvernements européens peuvent essayer de remonter la pente de leur propre chef, en prenant par exemple des mesures énergiques contre la dénatalité. Secondement et surtout, parce que de nouveaux ennemis extérieurs pourraient surgir, qui aiguiseraient utilement l'aiguillon des rivalités inter-étatiques. Je songe à la montée de pays comme l'Iran, l'Irak, la Turquie, en pleine expansion démographique (dans vingt ans, l'Iran et la Turquie auront chacun autant d'habitants que la Russie aujourd'hui) et qui travaillent à se doter d'armements sophistiqués. Ou, plus généralement, à la montée du monde musulman, qui pourrait présenter toutes les exigences requises pour prendre le relais du monde communiste dans le rôle d'adversaire principal de l'Europe de l'Ouest: même foi belliqueuse que la Russie lénino-stalinienne, même hostilité envers l'Occident, même primat du groupe sur l'individu, mêmes masses nombreuses et misérables (ces éléments étant d'ailleurs liés, comme nous l'avons vu: autant la richesse stimule la vie intellectuelle d'une société, autant la pauvreté favorise l'obscurantisme), et... même capacité d'enchanter l'intelligentsia occidentale.

Pour les États-Unis, le nouvel ennemi utile, le nouvel "empire du mal", serait plutôt la Chine. Totalitaire, énorme, expansionniste, menaçante pour les intérêts américains en Extrême-Orient, pleine de ressentiment à l'égard de l'Occident, elle pourrait faire, à l'avenir, un adversaire presque idéal.

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(c) Le Temps stratégique, No 82, Genève, juillet-août 1998. le.temps@edipresse.ch

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Created: before 21 Dec 2007 – Laste update: 26 Mar 2020