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Une citation de mon livre La Faillite coupable des retraites (2003), par le démographe Michel Loriaux en juin 2006, dans le livre collectif Démographie, Analyse et Synthèse. Un exposé long et détaillé, enrichi de son analyse personnelle.
(Michel Loriaux: Chapitre 3: "La Gestion économique et sociale de la pyramide des âges", p.525-556, dans: Graziela Caselli, Jacques Vallin, Guillaume Wunsch: Démographie, Analyse et Synthèse, Volume VII: Histoire des idées et (des) politiques de population, Editions de l’Institut national d’Études Démographiques (INED), Paris, 2e trimestre 2006.
Paru en anglais sous: Demography – Analysis and Synthesis A treatise in Population, Vol 4, Academic Press, New York (USA), 2006.)


Publications du même auteur sur ce site:
–Michel Loriaux:  Article 1  Conférence-débat au Conseil Central de l'Economie (Belgique)   (jun 2004)
–Michel Loriaux:  Article 2 "La Gestion économique et sociale de la pyramide des âges", dans: Démographie, Analyse et Synthèse.   (jun 2006)
–Michel Loriaux:  Article 3  Sur la solidarité intergénérationnelles et la cohésion sociale, à la Fondation Baudoin.   (nov 2006)

Copie de sûreté de la version papier: nov 2008. Source.
La Faillite des retraites
Cosandey



Démographie, analyse et synthèse.
Volume VII: Histoire des idées et (des) politiques de population

Graziella Caselli, Jacques Vallin, Guillaume Wunsch


Extrait tiré
du Chapitre 3 (p.525-556): "La Gestion économique et sociale de la pyramide des âges"
Section XI (p.544-549): Dénatalité et faillite des retraites : un cercle vicieux?
par Michel Loriaux.











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XI Dénatalité et faillite des retraites: un cercle vicieux?

Un jeune auteur suisse, physicien de formation et banquier de profession, David Cosandey (2003) a….



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           Pour transformer ce dernier en cercle vertueux, un seul remède : cesser de fonder le calcul des retraites sur le nombre d’années d’activité professionnelle passées à cotiser et prendre dorénavant en compte le seul paramètre important, à savoir le nombre d'enfants élevés ou entretenus par l’affilié, tout en mettant en place « une structure permettant à tous, même aux non-parents, de contribuer à la nouvelle génération, de façon à avoir droit à une retraite aussi », bref, rendre « clairvoyants » des systèmes actuellement « aveugles » [au nombre d’enfants entretenus, c'est-à-dire à la contribution réelle des assurés à leur propre retraite].

           Et la règle est vraie quel que soit le mode de financement des pensions, par répartition ou par capitalisation, car l’un comme l’autre sont fonctions du dynamisme économique et donc de la vitalité démographique. David Cosandey considère d’ailleurs que pour réformer les assurances vieillesse et les rendre plus équitables et viables à long terme, il n’y aurait guère lieu de bouleverser ni les institutions ni leurs modes de fonctionnement, mais seulement de modifier quelques paramètres et règles de calcul. En somme, ce qu’il faut, c’est seulement rapprocher les systèmes de retaites actuels des systèmes traditionnels de protection familiale dans lesquels la solidarité s’exprimait en vertu d’un principe relativement simple: les parents nourrissent, logent et éduquent leurs enfants en échange de quoi ceux-ci, ayant atteint l’âge adulte, entretiennent, soignent et protègent à leur tour leurs parents devenus âgés.

           Malgré certaines faiblesses inévitables, notamment en cas de décès prématuré des enfants ou de conflits familiaux qui pouvaient priver les parents de leur garantie veillesse, ce système fonctionnait relativement bien et selon un principe équitable (18). Par contre, en rendant les systèmes de protection sociale anonymes et déconnectés des liens familiaux, les échanges intergénérationnels ont été faussés dans la mesure où les contributeurs (les parents) doivent payer pour les non-contributeurs (les non-parents). Ils font de donner aux plus vieux la condition de recevoir des plus jeunes, alors que c’est de donner aux plus jeunes qui devrait conditionner le fait de recevoir des plus jeunes.

           Et dans pareil régime, on ne peut pas reprocher aux non-parents de se montrer égoïstes ou non solidaires: ils font seulement preuve de bon sens et de rationalité en prenant « le chemin le plus gratifiant que les auorités, la loi, la « société » leur offrent […] Les inféconds font figure de gagnants. Ils peuvent plus facilement faire des voyages, se consacrer au sport ou à la


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Figure 1 – Une vision des échanges intergénérationnels, dans le système traditionnel et dans le système actuel, d’après David Cosandey (2003)

Extrait d’une présentation par l’auteur de son ouvrage lors d’une conférence devant le Conseil central de l’Economie, Bruxelles, juin 2004.





lecture, s’habiller, se consacrer à leurs passe-temps favoris. Ils jouissent de la tranquillité dans leur chez soi et d’un niveau de vie supérieur. Ils symbolisent l’aisance et le succès […] En faisant profiter tout le monde des investissements réalisés par les parents, nos assurances vieillesse encouragent ce qu’on pourrait appeler une tactique de « parasitisme démographique ». (p.47 et 48)

           Faut-il pour autant pénaliser les non-parents et provoquer une opposition potentielle entre couples ou individus féconds et non-féconds? Pas forcément, car David Cosandey imagine dans son système de retraites «  clairvoyantes » plusieurs moyens permettant aux personnes qui n’auraient eu aucun enfant, ou un seul (c’est-à-dire moins que le nombre seuil fixé pour bénéficier d’une retraite pleine, soit en principe deux enfants) de contribuer à la générations suivante et d’acquérir des droits pour leurs retraite (pension minimale parrainages financiers, fusion des cotisations-retraites et des allocations-enfants…)

           Quant aux remèdes couramment évoqués pour faire face à la faillite financière des systèmes actuels, l’auteur les récuse tous l’un après l’autre en raison de leur inefficacité et de leur injustice ou de l’incertitude sur les résultats escomptés: c’est le cas du relèvement de l’âge de la retraite, de


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l’augmentation des impôts sur les personnes et/ou la consommation, de l’amélioration de la productivité du travail et/ou de l’augmentation des taux d’emploi (féminins, notamment), du recours massif à l’immigration et de l’investissement dans des portefeuilles d’actions et d’obligations de pays en développement à forte croissance économique.

           La solution de « revenir furtivement au système traditionnel, où les enfants devenus grands entretiennent personnellement leurs vieux parents en remerciement d’avoir été pris en charge pendant leur propre enfance » est elle-même rejetée car, en faisant disparaître le rôle de l’Etat, qui « offre une garantie pour les parents ayant perdu leurs enfants, elle permet une certaine redistribution des revenus et évite la promiscuité entre générations , elle serait un recul social.

           Au total, l’essai de David Cosandey mérite considération dans la mesure où il encourage une refondation des solidarités intergénérationnelles, sur des bases plus explicites, et cela à un moment où non seulement les sociétés vieillissantes ont un impératif besoin de solidarité, précisément parce qu’elles sont vieillissantes, et donc plus fragilisées dans certains segments de leur population, mais aussi dans la mesure où elles n’ont jamais été aussi multigénérationnelles qu’aujourd’hui, en intégrant des générations nombreuses et fortement différenciées, dans un intervalle d’âges de plus en plus grand, allant de 0 à 100 ans et au-delà.

           Résultat : gérer ces sociétés multigénérationnelles (et de surcroît multiculturelles) est devenu un véritable casse-tête politique, si l’on veut bien admettre qu’une bonne gouvernance doit viser à satisfaire de façon optimale les besoins et les aspirations de tous les citoyens, quels que soient leur âge, leur sexe, leur catégorie sociale ou leur appartenance religieuse ou culturelle. Malheureusement, c’est au moment où la solidarité entre les générations devrait être reconnue comme une des clés de voûte essentielles de notre édifice sociétal, qu’elle est battue en brèche, désavouée de partout et dénigrée au nom de prétextes le plus souvent fallacieux.

           L’individualisme exacerbé et le vent de libéralisme économique qui a soufflé depuis l'après-guerre sur nos sociétés occidentales ont grandement contribué à l'instauration de ce climat néfaste, en créant un sentiment que la protection du groupe ou de la communauté était moins nécessaire à partir du moment où les besoins essentiels (et même les moins essentiels ou les superflus) étaient assurés et les grands risques (maladie, chômage, accident, vieillesse [la vieillesse n'est pas un "risque", mais une étape normale de la vie] couverts, laissant à chacun la possibilité de gérer sa vie de façon autonome, en s'affranchissant des contraintes collectives.

           Le discours des assureurs et des banquiers, s'inscrivant de plus en plus dans cette ligne de pensée, toutes les tentatives actuelles visant à encourager les formules d'assurance privée ou à remplacer, partiellement ou totalement, les systèmes de répartition par des systèmes fondés sur la capitalisation sont des façons insidieuses de porter atteinte au principe de solidarité intergénérationnelle et d'encourager les travailleurs à rompre la grande chaîne de la solidarité entre les générations en omettant seulement de leur rappeler que ces formules supposées miraculeuses sont soumises aux aléas de la


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conjoncture et aux risques de crises financières et, surout, qu’elles se heurteront au défi de l’allongement de la durée de vie moyenne des retraités (laquelle pourrait doubler en passant de 10 à 20 :ans actuellement à 30 à 40 ans, si les âges légaux de départ à la retraite sont maintenus).

           Magré son indéniable originalité, la thèse de David Cosandey souffre cependant de défauts rédhibitoires qui compromettent ses chances d’être jamais adopté par les pouvoirs publics, même si l’auteur peut se prévaloir d’une réforme adoptée par l’Allemagne en 2002 (19) comme d’une modeste ébauche d’un système de retraites « clairvoyantes ».

           En effet, les analyses empiriques sur lesquelles l’auteur s’appuie pour démontrer qu’à partir du moment où des dispositifs instaurant des retraites plus ou moins généreuses ont été mis en place ou renforcés dans plusieurs pays (France, Allemagne, Suisse, Italie, Etats-Unis), la natalité a diminué (« chaque fois que les pensions de vieillesse, sous leur forme actuelle, ont été renforcées, la natalité a baissé. Et vice versa ») ne sont pas entièrement convaincantes. Elles se fondent sur un concept de relation causale simpliste [ Si chaque fois qu’il y a A, alors B se produit, et que chaque fois que A est absent, B ne se produit pas, on appelle cela une relation de cause à effet! Sauf si on ne veut vraiment pas le voir. On dit alors que c’est du simplisme... Comme dit le proverbe, il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir...] qui ne prend pas en compte les transformations du contexte sociétal rendant absurde la clause classique du « toutes autres choses égales par ailleurs ». Il ne faut jamais perdre de vue que les comportements démographiques des individus et des couples sont, avant tout, des faits sociaux qui ne prennent leur signification pleine et entière que s’ils sont resitués dans la globalité des mutations des systèmes dans lesquels ils s’inscrivent.

           Sans doute doit-on reconnaître que ce n’est pas la découverte de la pilule contraceptive ou d’autres raisons techniques du genre qui peuvent expliquer à elles seules le recul de la fécondité, mais qu'il a existé un ensemble de facteurs historiques convergents qui ont contribué à modifier les comportements procréateurs, l’instauration des systèmes de protection sociale ne constituant qu’un élément parmi d’autres de ces mutations sociétales qui ont accompagné la révolution industrielle.

           Parmi ces autres éléments, on pourrait certainement évoquer les changements de la condition féminine et la participation accrue des femmes à l’économie, la diminution de la mortalité infantile et la préférence pour des enfants de qualité plutôt que pour des enfants en quantité, les transformations en matière d'union conjugale avec la percée des unions libres et la vague de divoritalité, etc. Bref, c'est toute la famille avec la place occupée par ses différents membres et ses finalités qui a subi des transformations profondes et qui s'est reprogrammée en fonction des nouveaux contextes technologiques, économiques, sociaux et culturels. [En fait, je ne nie pas les changements sociétaux évoqués, mais les considère plutôt comme neutres pour ce qui est du choix du nombre d'enfants, ou bien comme découlant de ces nouveaux systèmes de retraites aveugles.]

           En conséquence, rêver d’une remontée de la fécondité autour des niveaux atteints vers les années 1960 est irréaliste [ce n'est pas irréaliste, puisque c'est ce qui se passe aux Etats-Unis, sous l'impact de l'amaigrissement progressif du système de retraites aveugle] car beaucoup de parents potentiels ont compris qu’il valait mieux, dans le contexte contemporain, ne plus donner la vie qu’avec parcimonie pour conserver toutes leurs chances de doter leur progéniture des meilleurs atouts possibles, notamment en termes d’instruction dans une société de plus en plus compétitive.

(19) La réforme Riester, du nom du ministre qui l'a proposée.


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           Face au chômage persistant des jeunes, qui n’est cependant pas incompatible avec une augmentation de la valeur ajoutée et de la richesse collective, n'importe qui peut s’interroger sur les raisons qu’il y aurait à relancer la natalité [erreur de sociologue en matière d'économie: l'augmentation de la population aide au contraire à résorber le chômage! Dans une économie autre que rentière, la croissance démographique stimule les commandes, et donc la croissance] et à investir pour une augmentation quantitative du capital humain alors qu’il est de plus en plus concurrencé par le capital technique, malgré l’amélioration de la productivité du travail. [Erreur de sociologue en matière d'économie: le progrès technique, à long terme, n'a jamais rendu le moindre individu superflu! En effet, les postes supprimés par la mécanisation/automatisation permettent à de nouveaux services et fonctions d'émerger, qui mobilisent la part de la population devenue disponible.]

           Mais l’argument le plus défavorable au modèle de David Cosandey est sans doute que, de l’aveu de l’auteur lui-même, le système préconisé ne pourrait être opérationnel qu’à partir de 2050, afin de donner le temps aux nouvelles générations de reconstituer leurs effectifs, [en fait, je préconise plutôt une introduction immédiate, mais valable seulement pour les personnes de 30 ans ou moins au moment de l'introduction, afin de ne pas prendre les plus âgés par surprise par un retournement impromptu des promesses] c’est-à-dire environ trente ou quarante ans près que le choc fontal annoncé entre les générations aura eu lieu et que la catastrophe redoutée (la faillite des systèmes de retraites) se soit produite, si du moins on suit les prévisions des prédicateurs de l’apocalypse, ou que, au contraire, le pire ait été évité et que des mesures de régulation efficaces aient pu être prises en temps utile, si on adhère plutôt aux thèses des optimistes.


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RÉFÉRENCES


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COSANDEY, David, 2003. – La faillite coupable des retraites. Comment nos assurances vieillesse font chuter la natalité. – Paris, L'Harmattan, 2003.


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Créé: 05 août 2012 – Derniers changements: 05 août 2012