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Une évocation de mon livre Le Secret de l'Occident (2007) par Jean-Luc Lefevre de l'Association Européenne des Enseignants (AEDE), dans un essai sur la notion d'identité européenne, publié à l'occasion de la présidence belge de l'AEDE, en juin 2010, dont on trouvera le plan ci-dessous.
Jean-Luc Lefevre: "La Question de l'Identité Européenne", AEDE, juin 2010

L'Association Européenne des Enseignants, fondée en 1956, revendique 15'000 membres, répartis en 28 sections nationales, du Portugal à la Roumanie et de Chypre à la Norvège.


Copie de sûreté: août 10. Source (document Word).
Théorie du miracle européen
Cosandey






La question de l’identité européenne

La question de l’identité européenne

Etre européen, qu’est-ce que cela veut dire ?

INTRODUCTION :

1. Le prétexte : la présidence belge de l’Union Européenne ;

2. Le contexte :

2.1. La libre-circulation mondialisée et dérégulée : partout, la volatilité !

2.1.1. Des capitaux : bulles spéculatives, crises bancaires et volatilité de l’épargne;

2.1.2. Des idées : la Toile, sa volatilité et ses dérives;

2.1.3. Des hommes appelés à la flexibilité et aux délocalisations : volatilité encore?

2.2. Des cohabitations conflictuelles :

2.2.1. Entre Européens et laissés pour compte venus d’ailleurs («sans- papiers », «réfugiés politiques») en «centres fermés» et/ou «d’accueil »;

2.2.2. Entre Européens et mafieux venus d’ailleurs;

2.2.3. Entre Européens de souche et Européens immigrés, ghettos et bandes urbaines;

2.2.4. Entre Européens aisés et Européens laissés pour compte («sans domicile fixe», « sous-le-seuil de pauvreté »…)

2.3. Un vivre-ensemble qui s’évapore sous les coups :

2.3.1. Des égoïsmes individuels et/ou collectifs: effet nimby, Padanie, Flandre, Catalogne, le même combat des riches contre des pauvres!;

2.3.2. Des peurs qui engendrent les replis sécuritaires (le droit du sol!), les communautarismes , les récupérations politiques et autres euro-scepticisme ou euro-pessimisme ;

2.4. Une Union Européenne engluée et diluée malgré le traité de Lisbonne parce que-

traversée d’intérêts contradictoires ( « grands » et « petits », « historiques » ou non, « fédérateurs » ou « coopérateurs »… ;

3. Mes convictions :

3.1. Etre européen, ce n’est pas :

3.1.1. faire partie d’un même espace géographique :

3.1.1.1. Il sera toujours à géométrie variable (zone euro, espace Schengen, …) ;

3.1.1.2. Ses limites ne feront jamais l’objet d’un consensus (Oural, Turquie…) ;

3.1.2. dépendre des mêmes structures institutionnelles, à géométrie variable : l’Union Européenne n’est pas le Conseil de l’Europe,l’U.E.O.,l’O.S.C.E. ou l’O.C.D.E. ;

3.2. Etre européen, c’est appartenir à un univers culturel spécifique, qui s’est construit dans la durée, qui a façonné une personnalité singulière, qui a résisté à des appartenances nationales récentes et artificielles (l’Etat-Nation, qui a « aligné les corps, les esprits et les curiosités », comme disait D. de ROUGEMONT dans L’avenir est notre affaire ;

4. Mes objectifs : établir l’archéologie du citoyen européen,

4.1. D’abord, en montrant que la peur a toujours été sa compagne ;

( J. DELUMEAU , La peur en Occident) ;

4.2. Ensuite, en rappelant comment il a su la surmonter et ainsi construire cette culture qui est la nôtre ;

4.3. Pour convaincre que les recettes du passé sont toujours des thérapies efficaces pour exorciser les peurs contemporaines ;

5. Difficultés de l’entreprise :

5.1. Son ampleur : elle touche à tous les domaines de la vie en société ;

5.2. Impossible exhaustivité : chacun(e) enrichira le propos;

5.3. Piège de l’européocentrisme ;

6. Comment fonder cette archéologie de l’Européen ?

6.1. En le situant très exactement dans son environnement, son Mitsein, son Etre-Avec :

a. Non pas l’environnement au sens restreint, idéologique, de « milieu naturel »,

b. mais l’environnement dans son sens large :

6.1.1.La relation à l’Espace ;

6.1.2 La relation à l’Autre ;

6.1.3.La relation à la Durée.

6.2. Cette conférence, qui se propose d’être un grand voyage dans la longue durée, comme ferait BRAUDEL, pourrait aussi s’intituler l’invention de l’Europe

Embarquons donc, attachons nos ceintures et quittons la Rue d’Hubinne à Hamois

Pour parcourir l’espace européen

L’Européen et sa relation à l’Espace

1. Quel espace?

1.1. Un territoire attractif riche de promesses en termes d’échanges commerciaux: de nombreuses péninsules, des îles, des côtes, des échancrures propices à l’installation de ports. Aucun point du territoire n’est à plus de 800 km d’une mer partout présente. «L’Europe est une île », dit M. CACCIARI, l’ancien maire-philosophe de Venise !;

1.2. Attractif et donc convoité: des vagues successives de migrants l’ont labouré, venus de l’est le plus souvent jusqu’à la seconde guerre mondiale, du sud après 1945 et les brassages de population ont été incessants. L’Européen est venu d’ailleurs !;

1.3. Attractif, convoité, et trop petit pour accueillir tous les nouveau - venus : c’est un « petit cap de l’Asie» (P.VALERY) qui a la forme d’un entonnoir, d’un déversoir vers la mer («Finistère»! Seuls, ses habitants pouvaient inventer la théorie du «Lebensraum», de l’espace vital!

1.4. Sur un territoire trop petit, se sentant confiné, l’Européen a très tôt développé le virus de la bougeotte. Immigré, il est devenu émigré…sans toujours savoir où il allait, ni pour combien de temps, ni s’il reviendrait de son périple.

1.4.1. Certains l’ont toujours été, comme les Gitans, les Roms et les Manouches ;

1.4.2. D’autres le sont devenus :

1.4.2.1. Contraints et forcés :

· par les invasions, ces vagues de dominos anonymes qui repoussaient les premiers venus plus loin : autant de « personnes déplacées » par d’autres que la faim ou la menace avaient mises en marche;

· par les aléas de la cohabitation religieuse : les Cathares qui trouvent refuge en Lombardie après la chute de Montségur, ces Juifs expulsés d’Espagne en 1492 et devenus Séfarades et Askenazes, ces Huguenots qui ont préféré quitter la France pour les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Afrique du sud après la Révocation de l’Edit de Nantes… ;

· par les transformations économiques qui vident les campagnes à partir des XIe-XIIe siècles déjà (les nourrices morvanes et les ramoneurs savoyards à Paris), mais surtout au XIXe au profit des villes nauséabondes (exode rural) avec ces hordes entières d’Allemands, de Belges, d’Italiens, d’Irlandais…aux Etats-Unis ou en Australie;

1.4.2.2. Libres aux multiples motivations :

· l’aventure pour l’aventure et, parfois, l’enrichissement personnel : ces « rencontreurs » de Nouveaux Mondes » à partir du XVe siècle (les frères PIZARRO, VASCO de GAMA…tous espagnols et portugais dans un premier temps), puis les Italiens (CABOT, au service des Anglais !), Français (CARTIER et CHAMPLAIN), des Anglais aussi ( mandatés par la British Royal Society, comme COOK), VAN RIEBEECK, fondateur du Cap en Afrique du Sud « station de rafraîchissement » sur la route des Indes, et TASMAN, des Hollandais, des corsaires aussi, parfois : l’Eldorado est pur produit de la culture européenne;

· l’aventure pour apprendre, le besoin de découverte : ces défricheurs de l’inconnu que sont le S.-Lt ORBAN, de Emptinne, LIVINGSTONE, RASMUSSEN, de GERLACHE, PICCARD, AMUNDSEN, CHAMPOLLION, SCHLIEMANN, LEVI STRAUSS;

· l’essor du commerce et de l’industrie : des colons grecs à la grande conquête coloniale du XIXe siècle, les Routes médiévales (celle de (la soie, par ex.), les Hanses, dont la Teutonique Navigare necesse est, vivere non est necesse »), les foires qui sont le carrefour des hommes d’affaires et donc des banquiers, les Hollandais de la Compagnie des Indes orientales, ces métallurgistes liégeois, émigrés, comme les Vallonbruk en Suède vers 1615, mais aussi les COCKERILL venus du Lancashire pour faire la fortune de Liège…;

· le prosélytisme religieux : « L’Europe est née en pélerinant », disait GOETHE. Ces moines irlandais venus évangéliser nos contrées « Allez, enseignez, baptisez… », les filiations monastiques médiévales, ces missionnaires dont Cyrille et Méthode à l’est, des Franciscains et des Jésuites en Inde et en Chine dès les XIIIe-XIVe siècles ;

· l’appétit culturel, la soif artistique : trouvères et troubadours, bâtisseurs et compagnons, universitaires, ces peintres (RUBENS, DELACROIX, VAN GOGH…), ces musiciens (HAENDEL, MOZART…, ces écrivains comme DU BELLAY, ZWEIG, RILKE, HUGO, SEGALEN, RIMBAUD…;

1.4.3. Et quand il ne peut partir, quitter ses pénates, l’Européen invente son aventure, il invente ses quêtes : HOMERE et l’Iliade et l’Odyssée, CHRETIEN DE TROYE et son Graal, RABELAIS et son Quart-Livre, CERVANTES et Don Quichotte, les Niebelungen, les Eddas, le Cancioneiro Geral, DANTE et la Divine Comédie, LE TASSE et sa Jérusalem libérée, Jules VERNE, HERGE…

2. Pour quoi faire de cet espace? Pour se l’approprier, le faire sien…

2.1. En lui donnant un nom qui rappellera par qui il a été appelé à la vie : en Europe, Basel, Nice, Frankfurt, Maastricht, Pont-l’Evêque, Baigneux-les-Juifs en Côte d’Or …Au-delà des mers : Baie d’Hudson, Iles Malouines (ou Falklands), Charleroi et Namur, aux Etats-Unis, Jadotville, Nouvelle Ecosse, New York, Iles Kerguelen ;

2.2. En le quadrillant ensuite : finages, bourgs, paroisses, abbayes, villes, évêchésincorporés dans des duchés, des principautés, des royaumes, tous enclos de murs, de remparts, de clôtures ( clercs et laïcs!) , de frontières…parce que tous jaloux de leurs prérogatives et de leurs droits. Tous entraînés dans une course effrénée au pouvoir, aux richesses, à la culture, à la gloire et donc aussi tous capables en cas de défaillance de l’un d’eux de prendre le relais de la civilisation et du progrès…pas de rupture donc, pas d’éclipse dans l’histoire européenne comme en Inde, en Chine ou dans le monde musulman parce qu’il y a émulation, concurrence même (D. COSANDEY, Le secret de l’Occident) ;

2.3. En domestiquant cette parcelle de territoire : en l’asséchant ou en l’irriguant s’il y a lieu, en détournant les cours d’eau (la machine hydraulique de Rennequin SUALEM de Modave), en défrichant et en cultivant les sols, en améliorant les techniques agricoles, en aménageant les centres urbains dont le plan est calqué sur celui des abbayes. Partout en Europe, le rôle des moines a été prépondérant: pour le culte, il leur fallait du pain et du vin… mais ils ont aussi investi dans la bière!

2.4. En inventant et popularisant les outils et les instruments qui lui permettent de représenter l’espace : les cadastres Domesday Book »anglais, pouillés et terriers sur le continent), les portulans, la cartographie de MERCATOR, les instruments de mesure des distances (le système métrique). De le comprendre aussi : les travaux de NEWTON, les instruments de mesure des températures CELSIUS et FAHRENHEIT), de la vitesse des vents (BEAUFORT), de la longitude (HARRISSON), de la pression atmosphérique (TORRICELLI) .D’en exploiter les ressources, comme l’eau, la vapeur (WATT), le charbon, l’électricité (FARADAY, VOLTA, FERMI, MAXWELL…);

2.5. En développant et diffusant des technologies capables de réduire les distances en accélérant le temps de parcours des hommes et des idées : de nouveaux itinéraires sont percés, en surface ( le canal du Midi, le canal de Suez…)ou souterrains ( le tunnel du Saint-Gothard, sous la Manche…), les techniques de navigation sont revisitées, les esquifs sont modernisés ( caravelle et kogge), le transport par rail (STEPHENSON), l’automobile ( CUGNOT, DAIMLER…), l’avion (ADER), le télégramme (CHAPPE), la fusée (VON BRAUN), l’imprimerie (GUTENBERG), la radio-diffusion (BRANLY et MARCONI), la télévision (BAIRD) ;

3. Même élargi aux dimensions du monde, l’espace est encore trop petit pour l’Européen : vers le milieu du XVIIe siècle, il s’attaque donc aux deux infinis. L’infiniment grand avec GALILEE qui conteste à l’Eglise le soin de définir le centre de l’Univers et avec KEPLER et NEWTON qui mettent au point le télescope ; l’infiniment petit aussi avec le microscope de VAN LEEUWENHOEK qui permettra de lutter plus tard contre les fléaux que sont la variole (JENNER) ou la rage (PASTEUR)!

La transgression de l’interdit est naturelle à l’Homo europaeus qui a toujours voulu repousser ses limites : celles de ses sens, celles de sa force, celles de ses aptitudes intellectuelles et celles que toute autorité extérieure lui avait imposées.

L’Européen, c’est aussi, quelque part, PROMETHEE resté fidèle à l’injonction de la Genèse: « …multipliez, remplissez la terre et la soumettez. Régnez sur les poissons…sur les oiseaux…et sur tous les animaux… »! Pour L. MOULIN, la conception de l’Homme en Europe est en tension entre l’ « homo Deo Deus » des chrétiens et l’ « homo homini Deus » des laïques .

Au hasard des périples, l’Autre surgit, qui surprend toujours…

L‘Européen et sa relation à l’Autre

Pas de relation authentique à l’Autre, au Différent lors d’un conflit armé, l’urgence est ailleurs! Mais il y a des exceptions à la règle: pour preuve, le long silence de l’historiographie officielle autour de ces soldats français, britanniques et allemands fraternisant un soir de Noël dans le no man’s land près de Ypres durant la Première Guerre Mondiale et autour des liaisons clandestines lors de la seconde guerre mondiale et des enfants nés d’une union interdite. Pour preuve encore, cette frénésie autour des libérateurs venus d’Amérique, vers 1944, quand la paix n’était encore qu’un vague espoir, autour de leur chewing gum, de leur jazz, de leurs bas nylon et de leur coca-cola!

Nous n’envisagerons donc ici que les rencontres faites par l’Européen en temps de paix. La situation est très contrastée selon qu’il se situe dans l’espace qui est le sien ou sur celui qu’il a cru découvrir lors de ses escapades, toujours plus nombreuses, toujours plus lointaines à partir des XIIe et XIIIe siècles.

1. Sur le sol européen :

1.1. L’appropriation mutuelle de l’Autre est la règle, qui conduit aux métissages:

· quand il (c’est à lui qu’il appartient de faire le premier pas !!) tombe sous le charme de la beauté des autres femmes : un art d’aimer spécifique à l’Europe d’OVIDE à RONSARD sans oublier PETRARQUE et sa Laura et l’amour courtois médiéval l’exogamie ignore la pureté des sangs !;

· quand il est séduit par ses codes, ses conventions et ses « canons »:

- sa langue, son vocabulaire : les emprunts sont légion! ;

- ses traductions : l’Europe est née de la traduction des œuvres venues d’ailleurs (à la différence des grands textes fondateurs d’Inde, de Chine, du Japon et de l’Islam, la Bible a été rendue accessible en langues vernaculaires (l’araméen, l’hébreu, le grec le latin, l’allemand… !). Les Arabes aussi ont traduit, mais se sont attachés au contenu, pas à l’aspect littéraire ou esthétique, comme les Romains, ce qui explique qu’en Europe, des athées (LUCRECE) et de grands amoureux (OVIDE) ont été recopiés et traduits par de chastes chrétiens !

- son corpus juridique : le droit romain, le code napoléonien ;

- ses conventions artistiques, ses mélanges de couleurs où l’Italie est leader incontesté ;

- son art de la table, sa gastronomie ) ;

- son art de vivre en société : les salons, les cafés, les jardins ;

- son art de la guerre (CLAUSEWITZ) et de la paix (la diplomatie et les ambassades italiennes vaticanes - et anglaises);

- les conventions numériques : le zéro de l’Inde via les Arabes et le chiffres arabes au XIe siècle;

· quand il est séduit par son organisation économique et ses techniques commerciales : la lettre de change italienne, la caisse d’épargne écossaise, la mutualisation anglaise des risques en matière d’assurance, la banque d’origine italienne (Lombards) et allemande ( FÜGGER) ;

· quand il est séduit par ses idéologies ou ses convictions politiques : la philosophie des Lumières et la Raison triomphante (Aufklärung, Illuminismo), la liberté anglaise, l’égalité française et la solidarité allemande !) , le marxisme, la séparation de l’Eglise et de l’Etat Rendez à César… »), l’autonomie des pouvoirs locaux (Lombardie et Flandres), les Droits de l’Homme d’essences spirituelle et laïque » ;

· quand il est séduit par une religion importée qui le conduit à éradiquer les cultes anciens, leurs sanctuaires et à recycler les rites païens ;

· quand il emprunte à ceux qui les ont découvertes toutes les techniques et instruments d’appropriation de l’Espace dont il a été question plus haut …L’appropriation est partout; qui conduit à autant de métissages culturels ;

1.2. Mais l’Autre est parfois tellement autre, tellement différent que l’appropriation n’est pas possible parce qu’il représente une menace pour la collectivité, parce qu’il fait peur, parce qu’il refuse tout simplement d’être assimilé. L’exclusion, voire sa destruction , est alors à l’ordre du jour :

1.2.1.quand il s’agit des gens du voyage (Roms) , de ces vagabonds qui se cachent ( ils ont un compte à régler avec la Justice ou ce sont soldats brigands ou des déserteurs) et qui chapardent : mieux vaut les assigner à résidence, dans des camps de transit ( les Gitans) , les contraindre à se domicilier ou organiser pour eux la…Légion Etrangère ;

1.2.2. quand il s’agit de malades (des pestiférés, des choléreux…) susceptibles de contaminer toute une région, quand ils sont handicapés, physiques ou mentaux : mieux vaut les assigner à résidence hors agglomération ( ces « loges » en forêt !), prévoir pour eux des centres de soin spécifiques ( les maladreries, les « asiles d’aliénés ») et leur imposer des signes distinctifs comme la crécelle pour signaler leur présence ( « stigmatisation », dirait-on aujourd’hui !) . Des programmes de stérilisation peuvent aussi être mis en place quand leur condamnation à mort n’est pas planifiée, comme en Suède . Les maladies mentales ont tellement fait peur qu’elles ont conduit l’Européen à élaborer, pour les comprendre, une discipline scientifique nouvelle, la psychanalyse, et son Ecole de Vienne (FREUD) : appropriation toujours !;

1.2.3. quand la foi qu’il professe ( ou pas) est susceptible de ruiner le consensus ecclésial. Ainsi ces Saxons, déjà, parce que païens sous Charlemagne, ces Juifs présumés déicides, ces Cathares ou Albigeois et ces Huguenots. S’il est juif, il est montré du doigt (la rouelle , l’étoile jaune, cette invention des IIIe et IVe Conciles du Latran,assigné à résidence dans un ghetto d’origine vénitienne ; tous, ils sont pressés de se convertir ( ou contraints, comme ces Juifs espagnols, les Maranes ( de l’arabe « mahram », interdit, au castillan « marrano », porc) , de pratiquer leur culte en secret pour demeurer en Espagne !) , souvent expulsés comme les Juifs, dès 1492, les Huguenots ( après 1685 et la Révocation de l’Edit de Nantes), les Quakers aussi ( comme William PENN expulsé d’Oxford et fondateur de colonies en Amérique à la fin du XVIIe siècle) et même exécutés ( par le fer et le feu) selon une stratégie qui connaîtra son apogée lors de la Shoah et la planification de l’élimination des Juifs par le régime nazi ( les chambres à gaz de la « Solution finale ») . Quant à l’Islam, c’est manu militari , en 1492, encore, après une longue et patiente Reconquista , qu’il est bouté hors d’une Espagne où il s’était solidement implanté durant sept siècles. ;

1.2.4. quand les idées qu’il répand sont un danger pour les mœurs ou le pouvoir en place : il est alors mis à l’Index ( Dieu sait l’usage qu’en fit le Saint-Office!), condamné à la prison (SADE) ou à l’exil (HUGO, MARX, l’intelligentsia juive allemande après l’arrivée de HITLER au pouvoir, les anti-fascistes italiens sur l’île de Ventotene), avec en prime, parfois, la destruction de ses œuvres ( l’autodafé colle aux basques de la culture européenne comme l’a montré U. ECO avec Le nom de la rose) ;

1.2.5. quand il est suspecté d’avoir commerce avec le Diable, comme cette sorcière par exemple, toujours condamnée au bûcher si elle n’abjure pas.

1.3. La transgression a aussi présidé au rendez-vous avec l’Autre quand il s agit de comprendre le fonctionnement de son corps : c’est contre le discours dominant, celui de l’Eglise, que VESALE a procédé aux premières dissections du corps humain, ouvrant ainsi le chemin aux LAËNNEC (stéthoscope) et autres RÖNTGEN (rayons X).

2. Au-delà des mers :

La situation est différente : l’Autre s’y révèle différent, très différent, même, au point d’être…nu, parfois, et d’avoir des mœurs qui étonnent, mais jamais, il ne représente une quelconque menace pour les institutions. Mieux, l’Européen bénéficie souvent d’une aura que lui confèrent ses origines et sa technologie: en Amérique latine, par exemple, parce que débarquant de l’Est, du point du jour, il sera perçu comme étant l’envoyé des dieux jusqu’au jour où…la violence succédera à l’appropriation, provoquant ainsi la disparition des civilisations amérindiennes!!!

2.1. L’appropriation est donc au rendez-vous, dans tous les sens d’ailleurs :

2.1.1. L’Européen – prédateur :

2.1.1.1. Il exploite la force physique des indigènes (main-d’œuvre dans les plantations et dans les familles de riches planteurs en France) ; il recrute pour l’Armée (Spahis, Tireurs sénégalais…) envoyés en première ligne lors des conflits armés;

2.1.1.2. Il quadrille le territoire (avec la bénédiction du Pape : Tordesillas, 1494), à l’occidentale, c’est-à-dire rationnelle, comme en Afrique, au mépris des ethnies parfois séparées de part et d’autres de la frontière ;

2.1.1.3. Il exploite ( après avoir installé parfois des bagnes !) les ressources locales, minérales, mais aussi végétales (tabac, fruits légumes, plants diversqu’il rapporte en métropoles pour séduire les papilles de ses convives (la pomme de terre, des fruits, des épices…), agrémenter ses parcs et jardins de couleurs et de parfums nouveaux), animales, même (pour son élevage, ses parures et ses loisirs (le jardin zoologique, le cirque) et des tissus (taffetas, satin, mohair…)

2.1.1.4. Il rapatrie les œuvres d’art pour enrichir les collections de ses musées ;

2.1.1.5. Il séduit les femmes, comme les «Révoltés du Bounty »…métissage ! ;

2.1.1.6. En Amérique latine, il élimine aussi car « les indigènes n’ont pas d’âme » :: la

controverse de Valladolid qui fera de Bartolomeo de La Casas un pionnier des Droits

de l’Homme en Europe ;

2.1.2. L’indigène s’approprie aussi :

2.1.2.1. La foi chrétienne, souvent imposée (les « réductions jésuites » du Paraguay sont une contrainte destinée à faciliter l’évangélisation des indiens Guaranis), et donc subtile alchimie de rites païens et de rites chrétiens;

2.1.2.2. Le savoir et l’Instruction ;

2.1.2.3. Une réseau de transport efficace ;

2.1.2.4. Une structure politique et administrative à l’occidentale…!;

2.1.2.5. Des virus et des maladies que l’Autre ne connaissait pas : l’alcoolisme, les

maladies vénériennes ;

2.1.2.6. Une architecture étrangère « baroque », comme à Cuba, La Louisiane…;

2.1.3. Un grand Marché

Tout ce que l’Européen a découvert et récolté de par le monde , il l’a diffusé, en en faisant bénéficier toute la planète : l’Afrique a connu le manioc , la maïs, la pomme de terre, le figuier de Barbarie venu du Mexique, le cocotier venu d’Inde…Les Antille s ont reçu de l’Afrique l’huile de palme, la banane…, l’Amérique a reçu le cheval, le bœuf, le cochon, le thé, le café, le blé, le riz,les abeilles…Quant à l’Asie, l’Européen y a importé le café, le tabac, le maïs, l’hévéa…

S’il s’est largement servi sur le grand marché mondialisé, l’Européen a aussi tout aussi largement redistribué le fruit de ses « récoltes », « provoquant un immense brassage de produits et d’idées, de techniques et de sciences, qui a bouleversé à proprement parler la physionomie de la planète, au bénéfice de tous » (L. MOULIN).

D’européens, les métissages culturels sont devenus planétaires…!

De ses périples, de ses rencontres, de son Histoire, l’Européen se souvient

L’Européen et sa relation à la Durée

1. Une anecdote : le 1er janvier 1994, à San Cristobal de las Casas, en pleine insurrection zapatiste, Julius FENNER, un ressortissant allemand, s’oppose au sous-commandant MARCOS et à ses hommes qui veulent brûler les archives de la ville (Courrier International, n°243, 29 juin-5 juillet 1997 ;

2. Pourquoi fait-il cela ? ces archives ne représentent rien pour cet expatrié, mais il est important pour lui, Européen de souche et lointain héritier des moines copistes du Moyen Age, de garder des traces du passé, de maîtriser une Durée qui fait encore sens aujourd’hui : ici en Europe, on sait que « les textes anciens auront toujours quelque chose à nous apprendre » , on a donc conservé et étudié les textes originaux, on a appris à contester par une lecture nouvelle la lecture ancienne d’un texte et permis qu’émergent des « Renaissances » impossibles en terre d’Islam (R. BRAGUE).

3. Maîtriser la Durée ? Comment ?

3.1. En maîtrisant son instrument de mesure : le Temps qui passe :

3.1.1. L’Européen s’est approprié, pour l’imposer, le calendrier universel, héritage juif et romain ;

3.1.2. Il s’est approprié l’horloge mécanique ;

3.1.3. Il a tissé le sol européen de « clochers » pour rythmer le quotidien ;

3.1.4. Il s’est approprié et a imposé l’heure (les fuseaux horaires à partir du méridien de Greenwich longtemps concurrent du méridien de Paris) ;

3.1.5. Il a imposé une conception du Temps, linéaire, d’origine juive, qui induit la croissance, le progrès à l’opposé du temps cyclique reproductible…, mais elle induit aussi, parce que d’essence chrétienne, la montée vers la Parousie et charriera avec elle ces autres fins de l’Histoire que sont les millénarismes et autres «grands soirs» marxistes.

3.2. En se dotant d’aides-mémoire :

3.2.1. Les productions écrites :

* Almanachs ;

· Ephémérides de Nüremberg (position des astres consignée par écrit) ;

· Souvenirs et Mémoires (« De Bello Gallico », FROISSART, DORGELES, RILKE, CLOSTERMANN…) ;

· Récits de voyage : Livre des Merveilles de MARCO-POLO, Journal de COLOMB, Le Guide du Pèlerin de Saint Jacques, les Sagas scandinaves, les Niebelungen, Les Navigations de Saint Brendan, les Lusiades de CAMOES…) ;

· L’historiographie, de XENOPHON à DUBY, en passant par TITE LIVE, TACITE… ;

· Capitulaires et obituaires ;

· Vitae Sanctorum et Légende dorée ;

· Genealogiae comitum Buloniensium, ducum Brabantiae, comitum Flandriae…toutes destinées à asseoir un Pouvoir ;

3.2.2. Les images :

* La peinture : GERICAULT et « Le radeau de la Méduse », PICASSO et «Guernica», VELASQUEZ et ses «Ménines», GOYA et son «Trois mai 1808», …;

· La sculpture : les Arcs de triomphe (Orange), la Colonne Trajane, les monuments aux morts (spécialité française !), les stèles ;

· La tapisserie: la « Tapisserie de la reine Mathilde» à Bayeux en est l’exemple ! ;

· La photographie: NIEPCE, DAGUERRE… ;

· Le film : les frères LUMIERE, MELIES… ;

3.2.3. Le son :

· Echos sonores, discours politiques, chants révolutionnaires… ;

· La musique populaire : le fado… ;

· La musique dite classique (SMETANA, DVORAK…) et l’opéra (WAGNER, VERDI…) ;

3.2.4. Les « lieux » de mémoire :

· Dépôts d’archives (l’Etat-Civil, après Villers-Cotterets) : mémoires de la vie quotidienne ;

· Musées : mémoires des prédations universelles ;

· Encyclopédies, mémoires des savoirs universels ;

· Expositions Universelles, mémoires des savoir-faire ;

· Plaques urbaines : noms de rues, de places… : mémoires locales (rues de Lombards, rues des Juifs, rues de la maladrerie, rue Orban ;

Mais aussi Rue d’Hubinne à Hamois…Nous sommes revenus à notre point de départ.

Comment se présente l’archéologie de l’ « homo europaeus », quelles leçons « ici et maintenant » au terme de ce voyage dans le passé ?

Il ne faut pas avoir peur de notre monde globalisé, de notre économie mondialisée et des grandes migrations qui vont avec: nous les avons enfantés! Pourquoi avoir peur de sa descendance ? Remy BRAGUE ne dit pas autre chose quand il parle de l’Européen comme d’un contenant, pas d’un contenu, d’un réceptacle de l’Universel. N’ayons pas peur donc, même si d’autres, sidérurgistes d’Inde, fabricants de jouets chinois, financiers russes, brasseurs brésiliens… semblent aujourd’hui conduire le bal!

Dépasser ses limites, encore, repousser l’horizon, toujours, tel est le mot d’ordre : comme le Gênois hier pressé par le Vénitien, comme le Portugais, hier pressé par l’Espagnol, l’Anglais par le Français, et Léopold II par tous les autres,l’Européen est aujourd’hui pressé par le Chinois ou l’Indien…

Il faut donc en finir avec le repli frileux sur soi : il n’a jamais rien résolu. Les « limes », les « pré carré » et autres « ligne Maginot » n’ont jamais contenu aucune agression venue d’ailleurs. Si tous ces remparts ont échoué jusqu’ici, pourquoi de simples barrières administratives contiendraient-elles aujourd’hui d’autres migrations ?

Autant le savoir : nous sommes déjà des métis. Et les métissages se poursuivront, inéluctablement, mais à deux conditions.

La première : les métissages se poursuivront si les cultures acceptent toujours de s’ouvrir les unes aux autres, si elles refusent d’être enfermées et de s’enfermer en des lieux spécifiques qui sont autant de chapelles interdites aux non initiés et si elles refusent d’être enfermées et de s’enfermer dans des communautarismes érigés en forteresses imprenables.

La seconde : les métissages se poursuivront si toutes les cultures acceptent , comme FENNER a aidé à conserver des archives qui n’étaient pas les siennes, que l’Autre entretienne la mémoire de son passé, si les cultures acceptent encore d’être les héritières d’une tradition qui s’incarne et se renouvelle dans un environnement qui n’est pas ou qui n’est plus le leur, inaugurant ainsi une nouvelle histoire.

Tout ceci est affaire de dialogue inter- et intra-générationnel, et donc aussi de pédagogie collective. Elle n’est pas sans rapport avec la naissance du petit d’homme, nous dit M. SERRES, le philosophe français : « Toute pédagogie reprend l’engendrement et la naissance d’un enfant : né gaucher, il apprend à se servir de la main droite, demeure gaucher, renaît droitier, au confluent des deux sens ; né Gascon, il le reste et devient Français, en fait métissé ; Français, il voyage et se fait Espagnol, Italien, Anglais ou Allemand ; s’il épouse et apprend leur culture et leur langue, le voici quarteron, octavon, âme et corps mêlés. Son esprit ressemble au manteau nué d’Arlequin » (Le Tiers Instruit, France - Loisirs, 1991, p.87).

Il appartient à tous les passeurs de culture, les parents, les enseignants, les média et les hommes politiques de faire des Européens de demain des Arlequin.

S’ils échouent, alors oui, la prédiction de Samuël HUNTINGTON se vérifiera, contre toute attente, et ce sera effectivement, le « Choc des Civilisations » !

Un retour à la barbarie peut-être ?


Jean-Luc LEFEVRE     Juin 2010


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Créé: 26 fév 2011 – Derniers changements: 26 fév 2011