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Pages d'appui pour lycéens, par Arnaud Parienty, datées de novembre 1998, arborant un extrait (raccourci) du Secret de l'Occident. Copie de sûreté juin 00. Document d'origine.

Autres articles d'Arnaud Parienty sur ce site: article1 (mai1998), article3 (nov2004).

Théorie du miracle européen
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Un plan d'étude avec des docs pour l'intro de TES

Si certains d'entre vous manquent de temps ou d'inspiration pour traiter les délicates problématiques 2 et 3 de l'introduction du programme de terminale toiletté, ils trouveront ci-joint quelques documents et un plan d'étude.

Toute critique est bienvenue

  Arnaud Parienty

 

Valeurs, institutions et développement

1. Système politique et développement

1.1. La démocratie, condition du développement ?

1.2. La révolution industrielle entraîne l’intervention de l’Etat

2. Système de valeurs et développement

2.1. Certaines valeurs ont-elles favorisé le développement ?

2.2. Valeurs "modernes"

 

Quelques documents correspondant aux points 1.1. et 2.1.

Document 1 Diversité et démocratie, sources du développement

Le commerce international ne peut connaître un développement continu et, tendanciellement, indéfini, que là où des unités politiques souveraines coexistent dans une aire culturelle homogène. Ce dernier point est capital : les échanges n’atteignent une importance décisive que dans une aire culturelle homogène.[ …]

Par conséquent, l’explication ultime de l’extension des activités économiques en Occident est le décalage entre l’homogénéité de l’espace culturel et la pluralité des unités politiques qui se le partagent. L’expansion du capitalisme tire ses origines et sa raison d’être de "l’anarchie" politique. Outre ses conséquences sur le commerce international, cette situation retentit sur l’économie par d’autres voies. D’abord, l’Etat ne peut pas ne pas intervenir dans la vie économique, pour la favoriser.

[ Ensuite] , la pluralité des sociétés dans un même ensemble culturel fait qu’elles sont à même de parcourir le champ des possibilités qu’offre cet ensemble : la volonté de se distinguer et celle de se hisser au niveau des autres font qu’un système concurrentiel est moins stable dans ses choix et plus varié dans ses réalisations. Ce trait est frappant dans l’art occidental, dans sa pensée et sa science.

Je ne suis pas certain que l’ouverture du marché extérieur eût suffi à garantir l’expansion capitaliste. Il y a fallu le complément que fut la limitation du pouvoir politique à l’intérieur de chaque pays. Cette situation a retenti directement sur l’activité économique, en lui évitant d’être absorbée par l’Etat : les entrepreneurs ont bénéficié d’une très grande latitude pour entreprendre et, lorsque les circonstances le permettaient, ils avaient même la possibilité de faire pression sur l’Etat, pour l’amener à prendre des mesures qui leur fussent favorables. Pour formuler ma thèse par une proposition extrême, je dirai que les libertés politiques ont fondé la prospérité économique de l’Occident.

Jean BAECHLER, Le capitalisme, Folio, 1995, tome 1, page 260

1. Quelles sont les conséquences bénéfiques, selon l’auteur, de la coexistence en Europe du morcellement politique ?

2. Qu’apporte la démocratie au développement du capitalisme, selon l’auteur ?

 

Document 2 : Les avantages de la diversité politique de l’Europe

La diversité politique bénéficia au progrès technique. Souvent, un Etat interdisait un nouveau procédé ou une nouvelle machine – la plupart du temps avec l’intention de bien faire : des emplois n’étaient-ils pas de toute évidence menacés? Mais d’autres entités politiques accueillaient l’invention persécutée. L’histoire du métier à tricoter est exemplaire à cet égard. Inventée par l’anglais Wiliam Lee à la fin du XVIè siècle, cette machine permettait de produire des vêtements de laine beaucoup plus rapidement que par tricotage manuel. Mais l’ingénieux inventeur n’eut aucun succès en Grande-Bretagne. Les autorités britanniques lui refusèrent son brevet et ses métiers furent détruits par des foules de tricoteurs manuels en colère. Réfugié en France, il fut accueilli à bras ouverts par Henri IV, ennemi du roi d’Angleterre, qui finança une première manufacture de tricot en France. C’est ainsi que le métier à tricoter mécanique put vivre et prospérer. Il prospéra si bien qu’un demi-siècle plus tard on le retrouve solidement implanté dans sa région d’origine. [ …]

La diversité politique était favorable aux marchands, comme aux savants et aux artisans, en décourageant le despotisme. Lorsqu’en 1570, Philippe II d’Espagne voulut taxer d’impôts abusifs la place financière d’Anvers, il fit simplement fuir capitaux et banquiers, en l’espace de quelques années, à Amsterdam, en terre non espagnole. Le monarque s’en trouva appauvri, et ses mesures réduites à néant. La multiplicité des Etats en Europe mettait donc le monde des affaires à l’abri d’exactions insensées, comme les savants et les artisans. Les rois se disputaient même parfois les faveurs des marchands.

David COSANDEY, Le secret de l’Occident, Arléa, 1997, p.113

3. La machine à tricoter aurait-elle pu être interdite dans un empire européen unifié ?

4. Montrez que la diversité politique et la démocratie ont une même conséquence favorable au développement.

Document 3 : Pourquoi l’échec des empires ?

Soit la Chine et l’Islam. En Chine, les statistiques imparfaites qui s’offrent à nous laissent l’impression que la mobilité sociale à la verticale y est plus grande qu’en Europe. Non que le nombre de privilégiés y soit relativement plus grand, mais la société y est beaucoup moins stable. . La porte ouverte, la hiérarchie ouverte, c’est celle des concours des mandarins. Bien que ces concours ne soient pas toujours passés dans un contexte d’honnêteté absolue, ils sont en principe accessibles à tous les milieux sociaux, infiniment plus accessibles en tout cas que les grandes Universités d’Occident, au XIXè siècle. Les examens qui ouvrent l’accès aux hautes fonctions du mandarinat sont, en fait, des redistributions des cartes du jeu social, un constant New deal. Mais ceux qui parviennent ainsi au sommet n’y sont jamais qu’à titre précaire. Et les fortunes qu’ils amassent souvent à ces occasions servent peu à fonder ce qu’on appellerait, en Europe, une grande famille. D’ailleurs, les familles trop riches et trop puissantes sont, par principe, suspectes à l’Etat, qui est seul possesseur en droit de la terre, seul habilité à lever l’impôt sur le paysan et qui surveille de très près les entreprises minières, industrielles ou marchandes. L’Etat chinois [ …] a sans fin été hostile à l’épanouissement d’un capitalisme qui, chaque fois qu’il pousse à la faveur des circonstances, est finalement ramené dans l’ordre par un Etat en quelque sorte totalitaire. Il n’y a de vrai capitalisme chinois qu’en dehors de la Chine – en Insulinde par exemple, où le marchand chinois agit et règne en toute liberté. Dans les vastes pays d’Islam, [ …] la possession de la terre est provisoire car, là aussi, elle appartient en droit au Prince. [ …] Les seigneuries, c’est-à-dire des terres, des villages, des rentes foncières, sont distribuées par l’Etat, comme le faisait jadis l’etat carolingien, et disponibles à nouveau à chaque fois qu’en meurt le bénéficiaire. [ …] Le seigneur meurt-il, sa seigneurie et tous ses biens reviennent au sultan d’Istanbul, ou au Grand Moghol de Delhi. [ …]

Cela dit, vous voyez mieux la thèse que je soutiens, assez simple, vraisemblable : il y a des conditions sociales à la poussée et à la réussite du capitalisme. Celui-ci exige une certaine tranquillité de l’ordre social, ainsi qu’une certaine neutralité, ou faiblesse, ou complaisance, de l’Etat.

Fernand BRAUDEL, La dynamique du capitalisme, Arthaud, 1985, p.75

5. En quoi l’instabilité des fortunes chinoises est-elle un obstacle au développement ?

6. Pour quelles raisons l’Etat peut-il empêcher les capitalistes de développer leur fortune ?

 

Document 4 : Protestantisme et capitalisme

 

LA question weberienne est ainsi posée : quels facteurs non économiques ont contribué à façonner les comportements européens dans le sens exigé par une économie rationalisée, c’est-à-dire capitaliste ? Ces facteurs doivent être présents en Europe et absents ailleurs. Max Weber n’a jamais varié, en cherchant la réponse du côté du religieux et du calvinisme dans sa version puritaine. Mais il a changé de thèse entre son oeuvre de jeunesse et un texte tardif et posthume [ Note : ce texte, disponible dans "sociologie des religions", ne sera pas étudié] . Seule la première thèse a connu et connaît encore la célébrité la plus étonnante. Elle a été tant et tant divulguée, qu’il suffira de la résumer en quelques lignes :

-- une variante du christianisme réformé au XVIème siècle, le calvinisme, retient le dogme de la prédestination, qui pose que tout homme est sauvé ou damné de toute éternité par un décret souverain de Dieu ;

-- celui qui adhère à ce dogme, ne sait pas et n’a aucun moyen direct de savoir s’il est sauvé ou damné, ce qui provoque en lui un inconfort moral d’une grande intensité ;

-- la seule issue est de réussir à repérer des indices de second ordre de l’élection divine ; deux indices paraissent probants : l’un est de se comporter moralement selon les règles de la vertu la plus stricte ; l’autre est de remplir ses devoirs d’état [ liés à la fonction] de la manière la plus srcupuleuse possible ;

-- ainsi naît une "éthique protestante", qui combine l’ascétisme dans les moeurs et la rigueur dans le travail ; or, cette combinaison répond exactement aux exigences de la rationalité économique, à l’"esprit du capitalisme".

Jean BAECHLER, Le capitalisme, Folio, 1995, tome 2, page 79

7. Définissez "rationalité économique". Donnez des exemples illustrant cette notion.

8. Pourquoi, selon Weber, les calvinistes sont-ils incités à travailler et à être vertueux ?

 

Document 5 : Une thèse rejetée

Il est incongru de réfuter les grands auteurs, parce que leur grandeur est plus dans les problèmes posés que dans les solutions proposées. L’enquête à laquelle Max Weber a consacré sa vie a ouvert des chantiers féconds en sociologie des religions. Pour ce qui est du problème précis des origines du capitalisme, il faut aujourd’hui conclure à un échec complet. Ou bien l’on adopte une une définition large du capitalisme, comme la recherche du profit sur des marchés par des entrepreneurs appliquant aux activités de production et de distribution des méthodes rationnelles – et force est de constater que l’on trouve du capitalisme en des lieux et à des époques échappant à toute influence puritaine [ c-à-d protestante] , en Europe, du XIè au XIVè siècle, dans les cités italiennes, flammandes, hanséatiques, rhénanes, au Japon, à partir du XVIè siècle, en Chine, du Xè au XIIIè siècle… Ou bien l’on retient une définition étroite, en l’identifiant à la "révolution industrielle" depuis le XVIIIè siècle, et l’on doit conclure de l’histoire de ce capitalisme qu’il fleurit indistinctement aussi et aussi bien en terres catholiques, confucéennes, hindouistes, bouddhistes. Dans tous les cas, on échappe difficilement à la conclusion que l’ascétisme intramondain [ doctrine de certains protestants, sur lesquels porte l’étude de Weber] n’a pas grand-chose à voir avec la solution du problème de la production des entrepreneurs.

Jean BAECHLER, Le capitalisme, Folio, 1995, tome 2, page 84

9. Quelle objection essentielle est faite à la thèse avancée par Weber ?

10. Donnez des exemples de pays non protestants qui ont connu un développement économique précoce.

Résumé :

Le rôle de l’Etat et des structures politiques :

- Un Etat stable : la stabilité politique et sociale est essentielle aux opérations économiques (investissement, par ex)

- Un Etat de droit, garantissant la bonne exécution des contrats, le respect de la propriété, la possibilité de l’accumulation. Cette condition est principalement remplie dans les régimes démocratiques.

- Une pluralité d’Etats dans un même espace les met en compétition et limite leur pouvoir face aux marchands et aux savants. L’innovation en est favorisée.

- Cette pluralité est à l’origine d’un commerce international, qui produit de la diversité (des solutions techniques, des organisations, etc…, ingrédient essentiel de la réussite économique.

Ces conditions ne sont réunies qu’en Europe post-féodale. Les autres civilisations avancées sont généralement organisées en empires, structures dans lesquelles l’Etat bloque le développement.

 

L’influence des valeurs :

- En même temps que s’accomplit la révolution industrielle, les valeurs changent : sécularisation, rationalisation, individualisme

- Ce changement des systèmes de valeurs favorise le développement économique et certaines transformations politiques. En ce sens, il est possible que certains systèmes de valeurs soient plus favorables que d’autres au développement des activités économiques ou techniques.

- Cependant, il est bien difficile de savoir si ce changement des valeurs est une cause ou une conséquence des changements économiques et politiques.

- Il est possible, comme l’estime M.Weber, que certaines formes de protestantisme (les sectes puritaines) aient favorisé certaines formes de capitalisme (en gros, la CPP) dans certains pays (anglo-saxons).